Stratégie du très haut débit: le déploiement de la fibre optique doit bénéficier d’un soutien financier
Une infrastructure Internet moderne doit être garantie même là où le déploiement du réseau n’est pas intéressant du point de vue économique pour les opérateurs. Dans cette optique et en réponse à un postulat du Conseil national, le Conseil fédéral a élaboré une «Stratégie en matière de très haut débit» prévoyant le recours à des subventions pour le déploiement de la fibre optique. Le rapport se fonde sur une expertise de l’institut de renom WIK (Institut scientifique pour l’infrastructure et les services de télécommunications) et présente différentes options pour le financement et la mise en œuvre du programme de soutien.
L’utilisation d’Internet a massivement progressé au cours des vingt dernières années. De plus, avec l’avancée de la numérisation et la multiplication des applications telles que les services de cloud computing, l’intelligence artificielle ou la réalité virtuelle, les besoins en largeurs de bande Internet élevées ne cesseront de croître.
Plus de 80% des unités d’utilisation (logements, entreprises, etc.) en Suisse disposent déjà d’une connexion Internet permettant des vitesses d’au moins 1 Gbit/s. Cependant, cela ne signifie pas qu’un débit de 1 Gbit/s soit effectivement disponible dans 80% des bâtiments. Les 80% d’unités d’utilisation se répartissent sur seulement 48% de tous les bâtiments. En d’autres termes, 52% de tous les bâtiments doivent encore être raccordés afin de doter les 20% d’unités d’utilisation restantes d’un débit de 1 Gbit/s.
Les zones rurales sont défavorisées
Les régions dans lesquelles les logements et les entreprises ne sont pas desservis par un réseau haut débit performant risquent de manquer le train de la numérisation. Elles deviendraient moins attractives, tant comme lieu de résidence que comme lieu d’implantation des entreprises. Ces zones sont tributaires de la volonté des opérateurs de poursuivre le déploiement de leurs réseaux.
Le problème est que les opérateurs ne développent leurs réseaux que là où c’est rentable. Dans les régions peu peuplées, ce n’est souvent pas le cas, car moins d’unités d’utilisation peuvent être viabilisées, ce qui diminue le nombre de raccordements pouvant être vendus. C’est la raison pour laquelle le Conseil fédéral prévoit la mise en place d’un programme de soutien visant à permettre le déploiement du réseau même dans les zones peu rentables et à éviter le creusement d’une fracture numérique entre la ville et la campagne.
Le programme de soutien en détail
Le programme de la Confédération vise à soutenir le déploiement du réseau là où il est avéré que les investissements privés ne sont pas rentables et qu’une vitesse d’Internet d’au moins 1 Gbit/s n’est pas déjà disponible. Le déploiement du réseau doit se faire autant que possible au moyen de la fibre optique (topologie de réseau P2P). Uniquement les infrastructures dites passives (canaux de câbles, fibre optique, etc.; couche 1 dans le modèle OSI) peuvent faire l’objet d’une aide au financement.
Afin que les investissements privés des opérateurs de réseau ne soient pas évincés par le programme de soutien, il est prévu de déterminer l’éligibilité des différentes zones par le biais d’une procédure d’étude de marché.
1,4 milliard de francs de subventions
Les investissements nécessaires à la montée à 1 Gbit/s dans toute la Suisse dépendent du standard appliqué lors du déploiement. D’après le Conseil fédéral, le réseau doit être développé selon le modèle P2P 1 fibre. Dans le modèle P2P, chaque client bénéficie de sa propre fibre optique depuis le central de raccordement (PoP) jusqu’à son logement, contrairement à la topologie de réseau P2MP.
En comparaison avec le modèle P2MP 1 fibre, le modèle P2P nécessite certes des investissements supplémentaires à hauteur de 400 millions de francs, mais c’est la seule façon de garantir une concurrence équitable entre les fournisseurs d’accès. Dans son rapport, la Confédération se réfère également au différend en matière de fibre optique qui oppose Swisscom et Init7, ainsi qu’à la procédure en cours auprès de la COMCO.
Le modèle à 4 fibres prévoit que 4 fibres optiques relient chaque client au central de raccordement. Ainsi, 4 fournisseurs ont accès au client en même temps. Dans le modèle à 1 fibre, un seul fournisseur a accès au client, mais la fibre peut être déplacée d’un fournisseur à l’autre dans le central de raccordement. La concurrence entre les fournisseurs d’accès reste ainsi garantie.
Étant donné que les investissements nécessaires et donc le montant des subventions requises sont beaucoup moins élevés pour le modèle à 1 fibre que pour celui à 4 fibres, le Conseil fédéral se prononce clairement en faveur du modèle à 1 fibre. Il est d’avis que les subventions supplémentaires de 2,4 milliards de francs nécessaires pour le modèle à 4 fibres ne se justifient pas.
Qui va payer?
Le Conseil fédéral envisage différentes possibilités afin de financer le programme de soutien. Des fonds issus du budget ordinaire de la Confédération ainsi que des recettes non budgétées provenant des concessions de téléphonie mobile figurent au premier plan.
Les droits d’utilisation des fréquences de téléphonie mobile sont octroyés par voie d’enchères. Les recettes vont dans les poches de la Confédération. Les recettes des dernières enchères des années 2012 et 2019 ont été affectées en priorité au remboursement de la dette et correspondent approximativement au montant de 1,4 milliard de francs nécessaire pour le programme de soutien. Les prochaines enchères auront lieu en 2028 et en 2034. Il serait possible de lier les recettes au programme de soutien et de financer ainsi la stratégie en matière de très haut débit.
Cette solution aurait l’avantage de réinjecter l’argent du secteur des télécommunications dans ce même secteur. Toutefois, le montant des recettes des concessions demeure une inconnue. Le déploiement visé devrait donc être adapté aux moyens disponibles.
Si le programme était financé par le budget de la Confédération, la situation financière tendue de cette dernière serait certes aggravée, mais le Conseil fédéral estime que cette variante pourrait être mieux acceptée par la population, car elle donnerait lieu à un débat politique.
Par souci d’exhaustivité, une sorte de «taxe sur le haut débit», c’est-à-dire une contribution de solidarité versée par les clients de la fibre optique, est également envisagée, mais aussitôt rejetée, car difficilement réalisable politiquement. Par ailleurs, les recettes dégagées par cette solution seraient bien trop faibles pour que le besoin de financement de 1,4 milliard de francs puisse être couvert dans un délai raisonnable. En prélevant deux francs pour la «solidarité en matière de fibre optique» sur les environ 1,5 million d’abonnements FTTH existants pendant sept ans, on n’obtiendrait que quelque 250 millions de francs.
Il serait en outre envisageable que les cantons et les communes concernés participent au financement.
Modèles de soutien
Deux modèles entrent en principe en ligne de compte pour la mise en place du programme de soutien: le modèle de l’insuffisance de rentabilité et le modèle de l’exploitant. Il est également possible que les deux modèles soient utilisés et qu’ils se complètent mutuellement.
Modèle de l’insuffisance de rentabilité
Dans ce modèle, les projets éligibles font l’objet d’un appel d’offres et d’une mise en concurrence. Les entreprises privées peuvent se porter candidates pour le projet en soumettant une offre à hauteur des besoins en subventions. Cela permet de garantir que les subventions versées ne soient pas trop élevées et que la procédure d’attribution du projet soit transparente et non discriminatoire. L’entreprise qui remporte le projet devient propriétaire du réseau construit.
Modèle de l’exploitant
Dans le modèle de l’exploitant, le réseau n’est pas construit par une entreprise privée, mais par une commune, un groupement de communes ou une entreprise communale. Les projets ne font pas l’objet d’un appel d’offres, mais les dépenses et les recettes attendues doivent être déclarées et il doit être établi qu’il existe un besoin de subventions. La commune, le groupement de communes ou l’entreprise communale devient ensuite propriétaire du réseau.
Cependant, le propriétaire communal n’intervient pas lui-même sur le marché de détail, mais met le réseau à la disposition des opérateurs de télécommunications contre paiement (wholesale-only). Le propriétaire peut soit commercialiser lui-même le réseau (modèle de l’exploitant communal), soit charger un autre opérateur de réseau de l’exploitation et de la commercialisation (modèle de concession).
Commentaire: la position d’Init7 sur la stratégie en matière de très haut débit
Afin d’éviter le risque d’une fracture numérique entre la ville et la campagne, il est impératif que les zones rurales, non rentables d’un point de vue économique, soient également raccordées au réseau de fibre optique. Dans la mesure où l’on ne peut pas attendre des opérateurs de réseau qu’ils investissement dans les zones non rentables, un soutien financier est indispensable.
Topologie de réseau P2P
Le déploiement au moyen d’une architecture P2P est l’unique topologie de réseau acceptable, car c’est la seule qui permet de garantir l’innovation technologique et une concurrence équitable entre les fournisseurs d’accès. Vous trouverez plus d’informations à ce sujet dans notre article de blog au sujet de P2P et de P2MP ainsi que sur notre site web.
On ne peut que saluer le fait que le Conseil fédéral exclue la topologie de réseau P2MP (point to multipoint), bien qu’elle diminuerait la facture de quelque 400 millions de francs selon les calculs. Les décisions de la COMCO, du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal fédéral dans ce que l’on appelle la «bataille autour de la fibre optique» parlent d’elles-mêmes.
Tous les concurrents de l’industrie des télécommunications acceptent plutôt bien le modèle P2P 1 fibre. En effet, les infrastructures FTTH sont construites presque partout selon le principe P2P 1 fibre ou 2 fibres. Cette configuration correspond également au standard de la «table ronde sur la fibre optique», qui a été adopté sous l’égide de l’OFCOM il y a plus de dix ans et qui a permis une uniformisation unique en son genre des déploiements FTTH de tous les acteurs. Il n’y a aucune raison de s’écarter de ce standard dans les zones éligibles aux subventions.
Financement
Le financement par le biais des concessions de téléphonie mobile repose sur le principe de l’espoir: le montant des recettes de ces concessions demeure une inconnue. Si elles sont inférieures au 1,4 milliard de francs nécessaire, le financement ne sera pas entièrement assuré et le déploiement prendra du retard. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Le financement par le biais de la caisse de la Confédération nous semble être la solution la plus judicieuse. Après tout, la Confédération a encaissé les dividendes de Swisscom année après année depuis la libéralisation du marché des télécommunications en 1998.
Toutes les autres propositions de financement sont inappropriées: la proposition d’une «taxe sur le haut débit» a été quasiment balayée par le Conseil fédéral lui-même et le subventionnement subsidiaire par les cantons et les communes ne semble pas non plus être la panacée, car la couverture en fibre optique en resterait au stade de patchwork actuel.
Modèle de soutien
Pour des raisons réglementaires, le modèle de l’exploitant serait plus correct que celui de l’insuffisance de rentabilité. Mais il serait aussi beaucoup plus compliqué. Notre expérience montre que les entreprises cantonales et communales d’approvisionnement en énergie ont parfois des idées et des exigences très subjectives à l’égard de leur réseau de fibre optique. Le déploiement est donc souvent très complexe. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le modèle de l’insuffisance de rentabilité est plus judicieux.
Plus encore: de notre point de vue, afin de garantir une allocation aussi efficace que possible des subventions, la meilleure solution serait que Swisscom soit la seule à se voir octroyer les fonds.
Cette position est confortée par le fait que Swisscom, avec sa filiale Cablex, dispose d’une machine bien huilée et dotée du savoir-faire et de l’expérience nécessaires, capable de réaliser 300 000 raccordements FTTH par an. De plus, il serait possible de tirer profit des économies d’échelle. Les fournisseurs d’accès alternatifs profiteraient de l’uniformité de l’accessibilité et pourraient très rapidement mettre en place des offres concurrentes sur le marché de détail.
En revanche, chaque projet conçu selon le modèle de l’exploitant et subventionné individuellement nécessiterait un travail de planification considérable et d’innombrables heures de réunions de coordination avant de pouvoir creuser une première tranchée pour les conduites de câbles. Les petits réseaux individuels sont également compliqués du point de vue des concurrents, car il faut renégocier partout. Pour les fournisseurs d’accès qui n’ont qu’une faible part de marché, cela ne présente souvent pas d’intérêt économique.
Si seule Swisscom recevait les subventions de 1,4 milliard de francs, l’octroi de ces fonds devrait bien entendu être lié à certaines conditions:
- Mandat de prestations: p. ex. 99% de la population disposent d’un raccordement FTTH d’ici 2033 et 100% d’ici 2037
- Topologie de réseau P2P uniforme selon le modèle à 1 ou 2 fibres, sans aucun compromis
- Réglementation: la fibre optique FTTH devrait être réglementée dans toute la Suisse afin que la concurrence dans le secteur des télécommunications, souhaitée par le législateur, soit équitable pour tous les fournisseurs
Réglementation
La réglementation de l’infrastructure de télécommunication ne profiterait évidemment pas seulement aux régions périphériques subventionnées, mais à l’économie nationale dans son ensemble. Cet aspect ne figure pas dans la stratégie de la Confédération en matière de très haut débit, qui est pourtant assez équilibrée dans ses grandes lignes.
Il en ressort une fois de plus le dilemme dans lequel est pris le Conseil fédéral: d’une part, il doit satisfaire les attentes de rendement de la Confédération, actionnaire majoritaire à 51% de Swisscom, sous la forme d’un dividende récurrent fiable et invariable; d’autre part, dans son rôle de législateur et régulateur, il devrait défendre les intérêts de la population suisse et de l’économie nationale en assurant une couverture en très haut débit dans le cadre du service public.
La critique, qui dénonce le fait que la libéralisation du marché des télécommunications décidée en 1998 n’a pas été menée jusqu’au bout et a donc en grande partie échoué, reste justifiée et ne disparaîtra probablement pas de sitôt. Avec sa stratégie en matière de très haut débit, le Conseil fédéral a maintenant les cartes en main afin de corriger au moins certaines des erreurs commises il y a 25 ans lors de la libération du marché des télécommunications.