de Fredy Künzler

Temps de lecture: 5 minutes

Overbooking – comment les fournisseurs d’accès répartissent la bande passante

La plupart des fournisseurs d’accès font la promotion de leurs abonnements Internet en indiquant la bande passante maximale disponible – en plus du prix. Ces deux paramètres sont facilement comparables pour les clients et constituent souvent des critères de choix décisifs.

Autrefois, lorsque la fibre optique n’existait pas encore, les connexions Internet étaient construites au moyen de deux technologies concurrentes : D’une part, le DSL (Digital Subscriber Line) sous différentes formes (ADSL, VDSL, g.Fast) sur le câble en cuivre à deux fils utilisé pour la téléphonie traditionnelle et, d’autre part, l’Internet par câble sur le câble coaxial utilisé pour la télévision par câble. Les deux technologies ont en commun le fait que les fréquences transmissibles sur le câble respectif sont physiquement limitées, ce qui limite la largeur de bande réalisable.

Asymétrie

Comme la plupart des clients privés ont besoin de plus de bande passante pour le téléchargement que pour l’envoi, les fréquences disponibles ont été réparties en conséquence, ce qui se traduit par une asymétrie : 100/20 Mbit/s pour le DSL offre une bande passante de 100 Mbit/s pour le téléchargement, mais seulement 20 Mbit/s pour l’envoi. Cette restriction existe également pour l’Internet par câble, mais la bande passante disponible est plus importante. La norme DOCSIS 3.1 utilisée en Suisse pourrait théoriquement atteindre 10/1 Gbit/s, alors que les technologies DSL utilisées actuellement s’arrêtent à 500 Mbit/s. La vitesse de transmission est donc plus élevée.

Contrairement au câble et à l’ADSL, la fibre optique ne connaît pas de limite. Il n’est donc pas étonnant que presque tous les opérateurs de réseau misent sur la fibre optique et laissent de côté les technologies de câble plus récentes comme DOCSIS 4.0 ou 4.1. Un réseau en fibre optique est beaucoup plus facile à exploiter et consomme également moins d’électricité, ce qui est bien sûr beaucoup plus économique à long terme, même si la construction de la fibre optique nécessite des investissements importants.

Topologies de réseau

Alors que le réseau DSL présente une topologie de réseau P2P (Point-to-Point), les réseaux de télévision par câble sont construits comme P2MP (Point-to-Multipoint). Les clients DSL disposent de leur propre ligne privée jusqu’au DSLAM (Digital Subscriber Line Access Multiplexer, l’appareil du fournisseur d’accès situé au siège social), qui agrège les lignes DSL.
Dans le monde du câble, l’appareil correspondant est appelé CMTS (Cable Modem Termination System). Celui-ci alimente, sur un même faisceau de câbles coaxiaux, tous les modems câble de l’immeuble, du voisinage ou même de tout le quartier et se trouve souvent dans des armoires de rue.

Source: Init7

La bande passante techniquement disponible sur le câble coaxial est répartie entre tous les clients connectés. Comme les CMTS sont chers à l’achat, certains fournisseurs d’accès à Internet par câble ont en fait raccordé trop de clients à un CMTS et ont ainsi surréservé le réseau. Ce n’est que lorsque les réclamations pleuvent qu’un deuxième CMTS est installé.

Les deux topologies de réseau de fibres optiques dominantes sont également issues de cette tradition. Alors que les anciens opérateur de téléphonie pensaient dans un schéma P2P point-to-point (également appelé AON Active Optical Networking), les  » Cablo-opérateurs » utilisaient un concept P2MP point-to-multipoint (PON Passive Optical Networking). Ces deux topologies de réseau ont fait l’objet de nombreuses controverses au cours des dernières années. Une topologie de réseau P2MP peut être reproduite sur une topologie de réseau P2P, mais pas l’inverse. Pour que les fournisseurs d’accès disposent d’une liberté totale en ce qui concerne l’électronique utilisée, il faut une topologie de réseau P2P, qui a pu être assurée grâce au soi-disant conflit sur la fibre optique (voir notre blog « Le feuilleton de la «bataille autour de la fibre optique» »).

XGS-PON : le quasi-standard

La plupart des fournisseurs d’accès en Suisse misent aujourd’hui la technologie XGS-PON. Celle-ci est basée – comme son nom le laisse supposer – sur la topologie PON et supporte 10 (X) Gigabit (G) de bande passante symétrique (S). Cette bande passante est répartie entre 2 et 128 clients par un splitter séparateur. La plupart des fournisseurs d’accès en Suisse utilisent des splitters à 32 voies. Cela signifie que la bande passante nominale de 10 Gbit/s est répartie entre 32 clients.
L’appareil utilisé dans le central pour agréger les raccordements des clients s’appelle OLT (Optical Line Termination). Plusieurs fabricants vendent des OLT pour XGS-PON ; un appareil fréquemment utilisé par différents fournisseurs d’accès est le Nokia 7360 ISAM FX-8:

Nokia 7360 ISAM FX-8 Source: www.xponshop.com

Il se compose d’une ou de deux cartes de supervision (redondance) avec 4 liaisons montantes Ethernet de 10 Gbit/s chacune ; ainsi que de 8 tiroirs dans lesquels sont installées les cartes de ligne XGS-PON. Chaque carte de ligne dispose de 16 ports de 10 Gbit/s, qui peuvent chacun desservir un répartiteur.

Lorsqu’il est entièrement équipé, le Nokia 7360 ISAM FX-8 permet d’alimenter au total un maximum de 4096 raccordements clients. Cela se calcule en multipliant 8 (cartes de ligne) par 16 (raccordements) par 32 clients par répartiteur = 4096. La largeur de bande maximale disponible d’une carte de superviseur est de 4x 10 Gbits/, soit 40 Gbits/s (brut), soit 32 Gbits/s net à pleine charge. En termes nominaux, il reste environ 7,8 Mbit/s (mégabits !) de bande passante par client. En réalité, l’abonnement Internet est annoncé à 10 gigabits par seconde.

Overbooking

Ce procédé s’appelle « overbooking ».
En comparaison, Ethernet sur la topologie de réseau P2P s’en sort mieux : un commutateur C9500-48Y4C de la marque Cisco dispose de 48 ports pour les connexions clients (1, 10 ou 25 Gbit/s) et de 4 ports de liaison montante de 100Gbits/ chacun, dont un seul peut toutefois être compté selon la configuration. La bande passante par client se calcule comme suit :

80Gbit/s de liaison montante (net) divisé par 48 clients = 1,66 Gbit/s par client. La vente nominale est de 1, 10 ou 25 Gbit/s selon l’équipement de l’optique. Le facteur de surréservation nominal est donc beaucoup plus faible dans une topologie de réseau P2P que dans une topologie P2MP. C’était déjà le cas pour le réseau téléphonique traditionnel par rapport au réseau câblé.

SmokePing est un outil qui permet de visualiser l’overbooking. On mesure la latence (ping) vers une cible. Si la capacité de la bande passante est insuffisante, la latence et la perte de paquets augmentent massivement. L’exemple de graphique montre un overbooking très important pendant la journée ; la bande passante ne suffit que pendant les heures de nuit. https://oss.oetiker.ch/smokeping/

Le métier de fournisseur d’accès à Internet

La surréservation est-elle légitime ? En principe oui, l’activité de tout fournisseur d’accès Internet fonctionne ainsi : on cumule les besoins en bande passante de tous les clients et on produit la capacité nécessaire à cet effet. Bien entendu, un fournisseur d’accès ne considère pas un OLT ou un commutateur séparément, mais additionne tous les appareils et agrège le trafic dans le backbone. Pour ce faire, le trafic et d’autres paramètres sont évalués en permanence au moyen de la télémétrie et une alerte est donnée en cas d’anomalie. Le volume de données consommé est mesuré, les capacités doivent être adaptées en permanence à la consommation. Des mises à niveau périodiques sont donc nécessaires. Toutefois, le moment où ces mises à niveau ont effectivement lieu peut varier en fonction de l’image que l’on a de soi, des attentes de rendement, de la politique de peering ou des préférences personelles de l’architecte de réseau. Une recommandation sarcastique dans l’industrie est la suivante : « Concevoir la capacité de telle sorte qu’aucun client ne se sente jamais obligé d’appeler le support pour se plaindre de la lenteur de son Internet ».

L’overbooking au détriment de la qualité

L’overbooking est donc extensible. On vend de la bande passante (nominale) X au prix Y par mois. C’est ce pour quoi le client signe. En tant que client, on ne remarque que certains fournisseurs surréservent beaucoup trop leur capacité disponible que lorsqu’on s’est engagé par contrat pour un ou deux ans, mais que la bande passante vendue n’est atteinte qu’à 4 heures du matin, lorsque la plupart des autres clients dorment. En revanche, pendant le prime time du dimanche soir à 20h30, le streaming Netflix est saccadé, le jeu de tir lagge et la mise à jour des applications sur le téléphone portable prend une éternité. Si c’est le cas, le fournisseur d’accès a trop surréservé *), mais a économisé de l’argent, au détriment de la qualité de l’expérience utilisateur.
*) PS : La plupart des réclamations concernant « l’Internet lent » sont dues à un manque de qualité du WiFi. Les conditions de construction limitent souvent le signal WiFi, c’est pourquoi des tests de vitesse fiables doivent toujours être effectués avec un câble Ethernet. Nous vous expliquons ici comment vérifier la vitesse de votre connexion.